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Au-delà des lignes… et des mers
Parmi les 45 établissements pénitentiaires engagés dans la 5ème édition du concours Au-delà des lignes*, 4 partagent la particularité d’être ultramarins : en 2020, une cinquantaine d’élèves détenus au sein des prisons de Mayotte et de l’île de la Réunion, se sont lancés avec leurs enseignants dans l’aventure Au-delà des lignes. Début mars, ils ont rencontré deux auteurs, membres du jury Au-delà des lignes. Récit de ces rencontres au cœur de l’Océan Indien, par Emmanuelle Tanneau, responsable Projet pour la Fondation du Groupe M6…
1ère étape mahoraise, avec Nassur Attoumani
« Mayotte est française et le restera à jamais », tel est le message qui accueille les passagers arrivant sur « Grande Terre », après un trajet de 15 minutes en bateau depuis « Petite Terre », où se trouve l’aéroport. Depuis 5 éditions que connaît le concours, le centre de détention de Majicavo est le premier auquel nous nous serons rendus en barge !
Mardi 3 mars au matin, je retrouve l’auteur mahorais Nassur Attoumani. Casque colonial vissé sur la tête, il est paré pour sa première participation au jury Au-delà des lignes et sa première entrée au centre pénitentiaire de Majicavo, la seule prison de l’île, ouverte il y a 10 ans. Entre les murs, sur le chemin qui nous emmène au centre scolaire, Nassur Attoumani serre les mains et embrasse ceux qui croisent notre chemin. « J’embrasse mes élèves », nous lance l’ancien professeur de français et d’anglais, bien connu sur l’île.
Guidés par Mohamed Tany (responsable local d’enseignement – Education Nationale) et Sabrina Gaci (enseignante), tous deux animateurs de l’atelier d’écriture, nous sommes accueillis par les regards complices des élèves : ceux-ci ont préparé en guise d’accueil un acrostiche personnalisé pour chacun de nous, qu’ils nous lisent à voix haute.
Suit un tour de table, au cours duquel chacun se présente : l’un est écrivain public en détention et afficionado de chasse au hérisson, un deuxième nous confie : « je vole des phrases dans un livre, puis dans un autre et je les colle ensemble… ». Un autre poursuit « ici on me donne à lire des textes et ça me fait me sentir bien ». Pour Nassur Attoumani, ils ont préparé des questions. Et ils attendent des conseils : « Des histoires, vous en avez tous vécues. Les petites histoires sont des grandes histoires. », « Quand vous êtes rentrés dans l’écriture, le tout est de continuer à écrire », « Ecrire, ce n’est pas forcément se lancer dans un roman : les contes que vous avez entendus petits, écrivez-les en français… », « Ayez toujours un cahier, un stylo, c’est comme ça que naissent les écrivains »…
Les conseils fusent, émaillés d’anecdotes d’enfance partagées non sans humour par l’auteur, dont certaines sont réunies dans son recueil Les aventures d’un adolescent mahorais étudié par les élèves avant la rencontre. A deux d’entre eux qui lisent leur texte à voix haute, Nassur prodigue un dernier conseil : « Dans vos textes, ne soyez pas généralistes, pointez votre doigt sur une personne particulière, ce personnage valorisera tous les autres ».
Après le retour en cellule des élèves, c’est finalement le kashkazy – le nom d’ici pour parler de la saison des pluies – qui sonnera la fin de notre rencontre : c’est sous une pluie diluvienne dont nous protègent mal nos frêles parapluies que nous nous donnons rendez-vous en avril : les élèves auront alors mis le point final à leurs textes.
2ème étape réunionnaise… avec Isabelle Hoarau-Joly
A peine le pied posé sur le tarmac, le chauffeur de taxi me donne le ton : « A La Réunion, nous sommes fiers de notre île. » : me voilà prévenue. Jeudi 5 mars aux aurores, Isabelle Hoarau-Joly m’embarque pour une immersion de 2 jours dans « son île ». Née à la Réunion, anthropologue, auteure, conteuse, la fourmillante Isabelle est également ethnobotaniste et engagée dans la défense du patrimoine, de la nature.
Ensemble, nous démarrons notre traversée de l’île à la rencontre des participants au concours issus des 3 prisons que compte La Réunion. C’est devant l’établissement récent de Domenjod (Saint-Denis) que nous retrouvons Nirina Andrianarijaona (responsable locale d’enseignement) et Sarah Bonami (enseignante).
« Faites de votre texte un diamant brut »
Les 5 mineurs avec lesquels nous démarrons ce matin questionnent Isabelle sur ce qui l’a amenée à l’écriture. La stupéfaction se lit sur leurs visages quand elle répond : « Je n’ai jamais aimé le monde dans lequel je vis. Depuis toute petite, j’écris pour proposer un autre monde. »…
La conversation s’engage et le créole reprend ses droits. Isabelle m’avait prévenue, « le créole, c’est la langue du cœur ». Les jeunes semblent embarqués, y compris Sofiane**, qui a choisi « Banditisme » pour mot préféré de la langue française (avant de se raviser pour « Bonheur »). « Faites de votre texte un diamant brut », leur intime-t-elle, « questionnez-vous sur les mots justes, lisez votre texte aux autres car c’est pour eux que vous écrivez… ».
« J’écris sur mon vécu et sur le savoir acquis par nos aînés, je veux partager cette connaissance, la transmettre », explique Françoise, la doyenne du 2ème groupe que nous rencontrons au quartier des femmes. Sofia, elle, recherche dans la lecture le dépassement de soi. La page blanche, elle ne l’a pas dépassée pour l‘instant : « quand vous commencez un texte, comment vous vous y prenez ? » questionne-t-elle. Quant à Océane, qui se sent gênée de s’exprimer en français, elle nous confie : « J’écris quand ma tête est trop pleine, pour la vider ». Livre de guérison, journal de bord, récit d’amour… « L’enfermement peut faire des ouvertures », suggère Isabelle.
« Chaque personne est un livre debout »
Nous poursuivons notre route vers Le Port, où nous attend Jean Sauger (responsable local d’enseignement) pour une rencontre au quartier haut de l’établissement.
« J’ai été heureuse qu’on me propose de venir vous visiter dans votre maison fermée », démarre Isabelle. Pourtant, ici, pas de mur d’enceinte ni de cellules mais des îlots de logements communs où chaque détenu a son propre box, son lopin de terre à cultiver et une liberté de circulation sur le domaine, en journée… Parmi les 8 élèves réunis dans la salle informatique aux murs bleus délavés, plusieurs sont engagés dans un programme de lecture et tous participent aux ateliers d’écriture animés par Jean Sauger et leur enseignante Annickella Sabotsy, depuis octobre, « avec beaucoup d’engagement et de volonté », souhaite souligner cette dernière.
Après un tour de table tout en retenue, Isabelle se plie avec entrain au portrait chinois préparé par ces messieurs. Les regards s’éclairent lorsque la conteuse mime jouer de la lyre ou incarner la déesse Athéna – « Je suis restée comme une « marmaille » (une enfant) répond-elle à leurs regards étonnés. Son livre préféré ? Sans doute le 1er qu’elle se souvienne avoir lu, Tristan et Yseult. « Chaque personne est un livre debout, nous avons tous des histoires à raconter… ».
« La richesse de l’écriture, c’est la rencontre »
Quelques ravines plus au sud, c’est à la maison d’arrêt de Saint-Pierre que nous retrouvons vendredi matin, pour la dernière rencontre de l’île, Loïc Lubin (enseignant et coordonnateur de l’enseignement pour les 3 établissements de la Réunion).
Parmi la dizaine d’élèves présents, Frank déclare « J’aime me servir de mon stylo », Jean-Claude, lui préfère les mots-croisés, tandis que Sébastien se passionne pour l’œuvre de Stephen King. Il y a aussi Jean-Paul, chanteur à l’inspiration débordante et Cyril, le bibliothécaire de la maison d’arrêt… Depuis janvier, ils nous expliquent avoir « joué avec les mots » ; ils sont pressés de nous lire leurs productions. A Christophe, qui nous partage son texte, Isabelle explique toute l’importance de soigner la fin de son écrit : « La fin, c’est le dessert ! ». Ce qu’attend Isabelle en tant que membre du jury ? La réponse est sans équivoque : « Un texte, c’est une œuvre d’art, il faut qu’il génère une émotion ».
A eux qui ont découvert le plaisir de l’écriture récemment, elle livre une dernière pensée : « La richesse de l’écriture, c’est la rencontre. Comme celle que nous venons de vivre aujourd’hui.».
Sortie de la maison d’arrêt, Isabelle Hoarau-Joly nous livre son ressenti : nous lui laissons le mot de la fin sur ces rencontres Au-delà des lignes de l’Océan Indien…
* A propos du concours Au-delà des lignes : pour la cinquième année consécutive, la Fondation du Groupe M6 organise en 2020 le concours d’écriture « Au-delà des lignes » en milieu carcéral, en partenariat avec l’Éducation nationale et l’Administration pénitentiaire. Il a pour objectif de lutter contre l’exclusion des personnes en rupture avec l’écriture. Chaque édition se déroule en deux temps : des ateliers d’écriture menés par les enseignants de l’Éducation nationale à destination de 3 catégories : débutants, intermédiaires, confirmés ; puis la sélection des lauréats par un jury composé d’écrivains, de journalistes et de personnes issues de l’Éducation nationale, de l’Administration pénitentiaire et de l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI).
** Les prénoms ont été changés.